Rite Ancien et Primitif de Memphis-Misraïm
Les tensions du 20ème siècle vont rejaillir sur la Maçonnerie. Un Rite spiritualiste comme celui de Memphis Misraïm va devoir faire l’inventaire et se positionner clairement face à la Modernité. Héritiers de l’Occultisme de la fin du 19ème siècle, de nouveaux cercles vont se créer, résister à la barbarie nazie et transmettre à de nouvelles générations un héritage qui, comme le disait René Char, « n’était précédé d’aucun testament ». Une figure se détache celle de Robert Ambelain qui, comme Papus au siècle précédent, a inlassablement construit, reconstruit, réformé de nouvelles structures pour loger l’Esprit immémorial.
Le défi du 21ème siècle pour Memphis Misraïm, c’est de participer au développement de la Conscience individuelle et collective. De ne jamais se soumettre aveuglément à un principe, aussi divin soit-il. De cultiver la connaissance par l’intelligence et la raison. De ne pas attendre une quelconque révélation, un salut qui viendrait de l’extérieur. Nous déclarons que l’exercice de la raison, associée à la vertu, permettent d’avancer vers le monde spirituel. C’est une condition nécessaire mais sans doute non suffisante. Une mise en action de symboles et de rituels permettra l’accès à des dimensions nouvelles de la conscience.
Doit-on donc en conclure que cette opposition exotérique/ésotérique, est irréductible et que toute compromission de l’un envers l’autre doit être nécessairement diabolisée ?
Que les anciens Mystères et la philosophie classique n’ont rien à apporter à la franc-maçonnerie d’aujourd’hui ?
Certainement non et c’est sans doute l’inverse qui est vrai. Car cette opposition repose sur une méconnaissance des principes de la philosophie et de l’hermétisme, conception qu’avaient parfaitement compris les acteurs de l’Académie de Florence, même si les circonstances les empêchèrent de l’exprimer.
En effet, les textes anciens de la tradition hermétique n’invitent pas à une soumission aveugle à un principe, aussi divin soit-il. L’initiation n’est sans doute pas cet influx qui descend à travers tel ou tel hiérophante. Elle est au contraire l’expression de la vertu et de l’intelligence de l’homme, manifestation de cette détermination qui lui a permis de dépasser le statut d’animal. Nous sommes vraiment là au cœur de la tradition maçonnique, dans ce qu’elle a de plus riche et de plus noble.
Les anciennes instructions maçonniques disent : « Nous sommes ici pour creuser des tombeaux pour les vices et élever tes temples à la vertu » et nous lisons dans le traité du Corpus Hermeticum :
« Or le vice de l’âme, c’est l’ignorance. En effet quand une âme n’a acquis aucune connaissance des êtres, ni de leur nature, ni du Bien, mais qu’elle est toute aveugle, elle subit les secousses violentes des passions corporelles. Alors la malheureuse, pour s’être ignorée elle- même, devient l’esclave de corps monstrueux et pervers, elle porte son corps comme un fardeau, elle ne commande pas, on lui commande. Tel est le vice de l’âme. Au contraire la vertu de l’âme est la connaissance, car celui qui connaît est bon et pieux et déjà divin. […] Aussi, quand tu rends grâce à dieu, il te faut prier d’obtenir un bon « intellect ». […] L’homme est un vivant divin […] c’est un dieu mortel. »
Bien évidemment ce texte est beaucoup plus précis et nous n’en citons qu’un extrait.
Remarquons que c’est en cultivant la connaissance et donc l’intelligence, nous dirions aujourd’hui la raison, que nous nous détachons des passions et que nous manifestons pleinement notre humanité, notre nature de « dieu mortel ». Nous n’avons pas à attendre une quelconque révélation, un salut qui viendrait de l’extérieur. Nous possédons déjà les qualités nécessaires et il nous appartient de les exprimer, de les cultiver par notre travail constant et déterminé. « Gloire au travail » dirions-nous en franc-maçonnerie. S’il existe alors une hiérarchie, elle ne peut-être que le fait d’individus conscients de leurs faiblesses et de la fragilité de la nature humaine œuvrant à se parfaire sur tous les plans. L’émulation par la raison et la connaissance, voilà ce que propose l’hermétisme.
Mais si nous nous limitions à cette vision, nous ne donnerions qu’une vision trop fragmentaire de cette voie, car la tradition maçonnique telle qu’elle est visée dans les rites égyptiens, n’est pas une simple philosophie morale. Elle est une véritable voie initiatique impliquant une dimension sacrée intérieure et extérieure à l’être. Le mythe et le rite ont alors pour fonction de servir de guides à la conscience de celui qui parcourt cette voie. Déclarer que l’exercice de la raison, associée à la vertu, permettent de s’avancer vers le monde spirituel, est une condition nécessaire mais sans doute non suffisante. Cette ascension de l’esprit vers le Beau et le Bien dont parle Platon est liée dans notre tradition et d’une façon explicite dans le rite égyptien, à l’évocation du sacré par l’intermédiaire de l’activation symbolique et rituelle. Car les symboles rituels sont la représentation des Idées du monde intelligible.
Les cérémonies rituelles associées à la pratique de la raison et de la vertu permettent donc à l’esprit de travailler et de développer les qualités propres à l’être que sont la fraternité, l’amour, le courage, l’honneur, etc.
Mais les Mystères anciens eurent pour objectif d’aller encore plus loin, en dépassant par leurs rites cette dimension philosophique, pour approcher la question fondamentale du sens de l’existence. Ces principes antiques furent repris dans les rituels des Grades, dans la forme d’origine proprement « égyptienne », et qui comprend 33 grades dans le respect des autres rites. Des échelles en 95 degrés ont existés et existent encore dans les pratiques de certaines branches dites égyptiennes. Comme du 4ème au 33ème degrés elles utilisent le rite Ecossais et ne reviennent aux spécificités du Rite qu’au delà, elles n’ont pas été retenues par la Fédération Memphis-Misraïm.
Ce parcours véritablement initiatique est toujours celui d’un libre penseur, ayant déjà développé son esprit critique et sa bonté, celui d’un être qui construit et non qui détruit, celui s’ouvre à l’autre au lieu de chercher à le dominer.
Mais une telle aspiration, même sincère pourrait entraîner une perte du sens des réalités, le développement d’un esprit irrationnel ne parvenant plus à faire usage de son sens critique et à prendre une distance critique avec le vécu conscient, volontaire et contrôlé de cette relation au sacré. Nous pourrions assister à de véritables délires mystiques dans lesquels la question de la sensibilité au sacré serait remplacée par la certitude d’un contact privilégié avec le plan divin. Les fantasmes d’Elus, de Gardiens intemporels des vérités éternelles en seraient l’aboutissement. Il s’agirait d’une véritable confusion de l’esprit, d’un chamboulement des valeurs, dans lesquels le simple bon sens serait effacé devant un vécu spirituel considéré comme supérieur, rejetant la dimension physique ou du moins la marginalisant.
Or ce qui est visé est fort différent. Il s’agit comme nous le disions de la pratique de la raison et de la vertu, associée à une ouverture de la conscience au sacré par l’intermédiaire du rituel et de la connaissance. Les dimensions sociales et humaines ne sont en rien rejetées ou refoulées. Elles sont au contraire, le support nécessaire, la référence fondamentale sur laquelle s’appuie l’esprit qui s’ouvre à la compréhension du monde et d’autrui. Pour réaliser cet équilibre, le rôle de l’Ordre et de l’Obédience est donc primordial.
En rejoignant physiquement et spirituellement la Fédération Memphis Misraïm, et son Grand Ordre Egyptien pour les degrés au-delà de la Maîtrise, nous espérons que vous partagerez pleinement ce projet.